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L’analyse de constructibilité : le lien manquant entre conception et construction

Bon nombre de problèmes rencontrés dans le cadre d’un projet de construction donnent un mauvais sentiment de déjà-vu.

  • Erreurs et omissions dans les plans et devis
  • Manque de coordination professionnelle
  • Mauvaise communication entre les principales parties prenantes
  • Manque d’expérience et d’expertise dans certains domaines

Bien que plusieurs cherchent une nouvelle technique alliant intelligence artificielle et modélisation 3D pour régler ces problèmes, la solution se cache dans une méthode qui a fait ses preuves depuis longtemps : l’analyse de constructibilité.

Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Les projets ayant suivi des analyses de constructibilité ont une réduction moyenne des coûts de 4,3 %, et de 7,5 % de la période de construction (Anderson, 1999).

Qu’est-ce que l’analyse de constructibilité ?

L’analyse de constructibilité passe en revue la faisabilité des assemblages des divers systèmes constructifs, des spécifications techniques et du déroulement des travaux (séquencement, phasages, productivité, détails d’assemblages, etc.) pendant la phase de conception.

Cette technique d’analyse permet d’identifier les obstacles au projet avant sa réalisation pour limiter ou même éviter les erreurs de conception, les dépassements budgétaires et d’échéancier.

En d’autres mots, il s’agit de bonifier le projet dès le début en intégrant aux connaissances des professionnels une expertise en construction. L’ajout de cette expertise permet de profiter de plusieurs opportunités de rationalisation et de réalisation optimale du projet.

Son intégration peut se faire sous forme d’ateliers de revue, à différents jalons ou en continu, pendant la conception du projet.

 

Pourquoi entreprendre une analyse de constructibilité ?

Un gouffre se crée parfois entre les objectifs d’une organisation et la réalité de sa mise en œuvre.

Dans le domaine de la construction, et plus particulièrement dans le mode de réalisation traditionnel, la planification et le design du projet se font indépendamment des entrepreneurs en construction appelés à exécuter le projet (à l’exception de l’émission de quelques addendas au moment de l’appel d’offres).

Les professionnels traduisent les besoins du client en plans et devis, et l’entrepreneur général soumissionne et exécute les travaux conformément au contrat. Ainsi, aucune interaction entre les designers et l’entrepreneur n’a lieu avant la construction, si rien n’est effectué pour intégrer l’expertise en construction.

En l’absence d’expertise en construction durant la phase de conception, le donneur d’ouvrage s’expose alors aux risques d’erreurs, d’ambiguïtés, et même de contradictions dans les plans et devis.

Pour pallier ce manque d’intégration et éviter ces risques, d’autres modes de réalisation, comme le mode design-construction et d’autres modes similaires, sont apparus.

Mais souvent, le mode traditionnel est le seul mode de réalisation que les donneurs d’ouvrages peuvent utiliser.

Dans le cadre de ce mode de réalisation, l’analyse de constructibilité vient donc faire le pont et relie deux étapes clés du projet : la conception et la construction.

L’analyse de constructibilité est le trait d’union entre deux besoins du donneur d’ouvrage :

  1. conserver le contrôle du design de son projet en embauchant lui-même ses professionnels
  2. bénéficier d’une expertise en construction sans se commettre de façon précoce à un entrepreneur en particulier.

Au cours des dernières décennies, cette approche a pris de l’ampleur dans les pays industrialisés, particulièrement en Angleterre et aux États-Unis, et se développe grandement au Canada.

De nombreuses organisations issues du secteur de la construction à travers le monde, comme la Construction Industry Institute (CII), ont développé et publié des méthodologies dans le but de standardiser l’approche.

L’analyse de constructibilité : sa réalisation

Il existe plusieurs approches pour mettre en œuvre une analyse de constructibilité. Bien que la plupart des études s’accordent sur son utilité pour tous projets de construction, il faut prioriser davantage cette intervention pour les projets d’envergure complexes.

Quand effectuer l’analyse de constructibilité?

Même si les bénéfices de cet exercice sont de plus en plus évidents pour les donneurs d’ouvrage, le moment où la méthode doit être implantée dans le projet l’est beaucoup moins.

Cependant, toutes les études sur le sujet sont claires, plus l’analyse de constructibilité est réalisée tôt dans le projet, plus les effets positifs sont marqués.

En fonction de l’envergure du projet, le nombre d’interventions peut varier, mais il convient généralement de tenir trois à quatre ateliers à divers stades (dès l’initiation, à 30 %, à 60 % et 90 % d’avancement des plans et devis sont souvent conseillés) (McDowall, 2008).

Chaque dollar investi en analyse de constructibilité rapporte en moyenne 10 fois sa valeur sur les coûts totaux du projet (Preview, 1993)

 

Qui doit participer aux ateliers?

L’approche préconisée consiste à regrouper une équipe multidisciplinaire, incluant l’équipe de projet ainsi que des ressources externes expérimentées dans le domaine de la construction (conseillers-experts en construction).

Lors de l’exercice, l’équipe passe en revue l’ensemble des documents de conception des différentes disciplines préalablement transmis aux experts en constructibilité (pour préparation avant atelier).

L’analyse de constructibilité prend en considération la perspective des concepteurs, des entrepreneurs généraux, des entrepreneurs spécialisés, des fournisseurs et des opérateurs.

Le but de ces ateliers étant, tout en satisfaisant les critères de performance requis par le client, d’optimiser les plans et devis pour en faciliter la compréhension, de supprimer les ambiguïtés des documents contractuels et de s’assurer de leur bonne coordination interdisciplinaire afin de rendre la mise en œuvre la plus fluide possible avec le moins de risque possible.

Finalement, ces avantages se traduisent normalement par un prix de soumission plus faible, avec moins de risques de changements.

 

Quels sont les avantages reconnus de l’analyse de constructibilité ?

L’analyse de constructibilité entraîne de nombreux avantages quantitatifs tels :

  • Diminution des coûts de conception
  • Diminution de la durée globale du projet
  • Diminution majeure des coûts de construction
  • Diminution des risques de réclamation

En plus de ces éléments quantitatifs, bon nombre d’avantages plus qualitatifs sont amenés par cette technique :

  • Amélioration de la coordination interprofessionnelle et donc de la fiabilité des plans et devis
  • Diminution importante des changements et/ou directives en cours de projet
  • Meilleure communication entre les principaux intervenants
  • Diminution des risques de construction
  • Diminution des litiges entre les parties
  • Amélioration de la sécurité au chantier
  • Réduction des coûts futurs de maintenance et d’opération
  • Réduction de l’impact sur les opérations courantes pendant le chantier

 

Conclusion

À maintes reprises, l’analyse de constructibilité a démontré son potentiel à minimiser les demandes de changement, les conflits, les coûts associés à des reprises de travaux et l’échéancier de construction.

Peu importe la méthodologie suggérée, tous les experts dans le domaine sont d’accord qu’une analyse de constructibilité permet de mieux gérer les risques d’erreur et d’omission et de réaliser des projets de meilleure qualité qui répondent davantage aux besoins réels des clients, dans des délais moins longs et à moindre coût.

D’ailleurs, la plupart des statistiques et études des 20 dernières années concernant l’analyse de constructibilité sont pourtant très probantes : chaque dollar investi dans de telles analyses génère en moyenne pour le client des économies 10 fois supérieures sur le coût final du projet.

Finalement, cette approche s’intègre très bien avec le BIM 3D et 4D.

 

Auteurs

Patrick Vallerand, ing., MBA, PMP, PA LEED, C.Med.

Références

  • Anderson, S. D., Fisher, D. J. et Rahman, S. P. (1999). “Constructibility issues for Highway projects”, Journal of management in engineering, ASCE, Vol. 15(3), 60-68.
  • Douglas, E. E. (2008). “Schedule constructability review”, PS.16.1-PS.16.8
  • Jergeas, G. et Van der Put, J. (2001). “Benefits of constructability on construction projects”, Journal of construction engineering and management, ASCE, Vol. 127(4), 281-290
  • McDowall, R., Tookey, J. et Adin, B. (2008). “Constructability”, practice note 13.
  • Pocock, J. B., Kuennen S. T., Gambatese, J. et Rauschkolb, J. (2006). “Constructability state of practice report”, Journal of construction engineering and management, ASCE, Vol. 132(4), 373-383
  • “Preview of constructability implementation”. (1993). Construction Industry Institute, University of Texas at Austin, Austin, Tex.
  • Pulaski, M. et Horman, M. (2005). “Organizing constructability knowledge for design”, Journal of construction engineering and management, ASCE, Vol. 131(8), 911-919
  • Russell, J. S., Swinggum, K. E., Shapiro, J. M. et Alaydrus, A. F. (1994). “Constructability related to TQM, value engineering, and cost/benefits”, Journal of performance of constructed facilities, Vol. 8(1), 31-45
  • Song, L., Mohamed, Y. et AbouRizk, S. M. (2009). “Early contractor involvement in design and its impact on construction schedule performance”, Journal of management in engineering, ASCE, Vol. 25(1), 12-20.
  • Staub-French, S. 2003, “Construction Research Congress 2003”
  • Trigunarsyah B. (2004). “A review of current practice in constructability improvement: case studies on construction project in Indonesia”, Construction Management and Economics, Vol. 22, 567-580.

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